Chemin Pyrénéen Piémontais (4) – Aspet, Comminges

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Avril 2017, Moulin des Baronnies

Village du Portet d’Aspet. « Chez Jo », je suis attendu comme le Messie. La propriétaire, Yannick, est aux petits soins pour moi. Le dortoir semble difficile d’accès par un escalier en bois étroit et pas bien sécurisé. Il part de la salle du restaurant. Je dois le grimper à quatre pattes et descendre sur les fesses. Mais ce n’est pas la première fois. Le dortoir est situé sous le grenier. Il est suffisamment vaste pour que des randonneurs ne se gênent pas les uns les autres. Deux parisiens me tiennent compagnie. Ils débutent le Chemin de Compostelle. L’un d’entre eux, qui a déjà marché sur le Camino, semble paradoxalement moins bien préparé que le second, plus jeune. Le premier est facteur dans le Seizième Arrondissement de Paris. Durant le repas, il racontera quelques anecdotes amusantes sur son travail dans un quartier assez singulier. Le jeune, à peine trentenaire, est directeur d’un service de soins à domicile, activité ingrate que je connais bien, de par mon épouse qui l’a pratiquée plusieurs années. Nous sympathisons. Nous plaisantons beaucoup ensemble.

Chez Jo… assis, là, devant sa porte.

Le restaurant-bar « Chez Jo » est un havre de paix dans toute la région, sur un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres. Il est le seul lieu ouvert l’hiver, dans un secteur où les cafés, les restaurants, les hébergements sont rares et hibernent. Jo est un ancien musicien qui a offert son talent et apporté beaucoup de bonheur dans nombre de bals et de fêtes locales et départementales. Il est à l’origine du restaurant. Il est encore vivant et j’ai eu l’occasion de le saluer le jour du départ, alors qu’il était assis devant sa maison, sans doute dans l’état contemplatif de ces vieillards qui rayonnent de sagesse. L’ambiance du restaurant est chaleureuse. On rit beaucoup, les langues se délient et on se confie des états d’âme plus profonds que ce qui est entendu dans les bars, habituellement. Le soir, tandis que je m’endors sur mon matelas, en dépit d’un léger courant d’air qui passe à travers le mur en bois, on entend des grattements de guitare tard dans la nuit.

L’Esprit du Camino me recouvre comme chaque fois, au bout d’une huitaine de jours de marche. À vrai dire, dès le départ cette année, une paix profonde m’habite. Ce que j’appelle Esprit du Camino n’a pas grand chose à voir avec ce qui est écrit dans les guides de pèlerinage, à savoir une sorte d’éthique du comportement des marcheurs et des hébergeurs. L’Esprit du Camino est une paix et une joie confiante qui habite les profondeurs, confiance dans ce qui va arriver, indépendamment de tout calcul, mais qui en même temps structure ma propre vision du monde. Toutefois, je suis parfois perturbé par les événements extérieurs, du fait de mes quelques convictions politiques et philosophiques. Événements extérieurs qui n’ont pas d’impact sur la marche. Les débats autour de l’élection présidentielle prochaine en France sont complètement à côté de ce qui me paraît nécessaire et juste pour notre pays, pour nos pays. Je me suis amusé à identifier les divers candidats aux animaux que je croise, et j’avais l’intention de mettre cela sur facebook : mouton, chèvre (FF), cheval, âne, rapace, limace (MLP). Les sigles donnent quelques indications, les autres candidats, je les laisse à l’interprétation des lecteurs. Et puis cette idée m’a abandonné. Je n’éprouve pas d’inquiétude et je ressens l’unité et l’équilibre retrouvé entre sensations, émotions, méditation, prière et raison… l’équilibre de celui qui est en mouvement, en nomade, et non celui qui ne bouge pas. Ma seule préoccupation -mais est-ce une préoccupation- est celle de me sentir exister et celle de me laisser surprendre par les visages croisés, rares sur ce chemin, par les événements imprévus et imprévisibles.

Je suis resté deux nuits « Chez Jo ». Toute la journée, j’ai écrit et je me suis reposé. Les deux parisiens partis, je déplace mes affaires pour dormir dans un lit où les courants d’air sont moins sensibles. Un couple de lyonnais, un peu BCBG, remplace les parisiens. L’homme, à forte personnalité, est un ancien professeur d’université en littérature médiévale. Elle, timide et effacée, est sociologue. Le soir, lors du plantureux repas qui nous est proposé, le professeur nous écrase un peu de ses présupposés et éruditions universitaires, tandis que je l’interroge sur l’origine de la langue française. Il est passionnant, mais nombre de ses savoirs, je suis déjà au courant… et je me rends compte qu’il n’a pas énormément de pertinence sur la philosophie du Moyen Âge. On ne peut pas tout savoir. Comme il s’aperçoit que j’ai quelque discernement intellectuel du monde médiéval, ses propos se nuancent, se complexifient au fur et à mesure de notre conversation.

Ce temps de partage universitaire me convainc une fois de plus que je n’étais pas vraiment fait pour cela. Ma passion de la vérité et du sens me pousse à aimer farfouiller dans les écrits des grands penseurs, mais au fond l’aventure et les rencontres m’apportent plus. La dialectique est au-dessus de la raison logique, pensai-je souvent. L’échange et l’écoute apportent plus d’éclairage que l’enfermement autiste dans la pensée d’un auteur. Aucune amertume, aucun mauvais souvenir de mon chaotique itinéraire professionnel ne sont venus perturber la conversation. J’ai surtout laisser parler mon docte compagnon. Et puis, avouons-le, aucun de mes deux commensaux, ni lui, ni elle, ne m’ont interrogé sur qui j’étais. Tant mieux, après tout.

*

Le lendemain matin, le beau temps est revenu. Direction le gîte de Juzet d’Izeau dans la vallée, de l’autre côté du Col du Portet d’Aspet. Les lyonnais sont déjà partis. « Chez Jo », on s’embrasse, on se promet de se revoir, entre autres petites illusions de la vie. Dans un premier temps, le GR grimpe jusqu’au Col sur un bon kilomètre, puis il continue à monter jusqu’à l’accès à un chemin escarpé en pente plus douce à flanc de montagne. Nous avons quitté l’Ariège pour entrer en Haute-Garonne. L’atmosphère a changé, les vestiges de paysages méditerranéens ont disparu depuis longtemps. Au milieu des feuillus et des sapins, quelques ouvertures uniques sur la Chaîne des Pyrénées se dégagent. Le sentier est un vrai chemin de montagne, comme on en voit lorsqu’on monte en altitude par chez nous, en Chartreuse ou en Belledonne. À certains endroits, le sentier est si étroit qu’une chute dans le vide n’est pas exclue. Cependant, excepté quelques portions très brèves, l’éventuelle chute sera arrêtée par la végétation. J’ai l’habitude de crapahuter en Chartreuse et en Vercors dans des chemins moins sécurisés.

Le sentier est « à devers » dans le mauvais sens, comme je l’ai appris des associations pour amputés, c’est-à-dire que la prothèse est du côté haut et la bonne jambe, qui sert d’appui, du côté bas. La marche est plus difficile, d’une part parce que si je tombe vers la gauche, je ne peux pas me rattraper car la prothèse n’est pas un appui sûr si je dois croiser les jambes ou pivoter au-dessus du vide ; d’autre part parce que la prothèse est plus haute et tape sur des obstacles qui font trébucher. Dans ce cas de figure, je dois m’appuyer plus fortement sur les béquilles à gauche, assurer le pied qui me reste, et je subis une légère distorsion du dos. Cette déformation fatigue à la longue et je dois régulièrement m’arrêter. Bon, rien de nouveau, je connais ce souci depuis des années et je le gère sans difficulté. Lors d’une pause déjeuner, voici mes premiers compagnons de route croisés depuis le départ de Mirepoix. Deux cavaliers cheminent en sens contraire. Je manifeste quelque effroi à les voir s’aventurer sur des sentiers aussi abrupts. « Ils sont habitués », répondent-ils à propos des chevaux. Le plus amusant est la frayeur que j’ai provoqué sur l’un des animaux. Refus d’avancer en me voyant… La cavalière a dû descendre de la selle pour tirer le cheval à côté de moi. L’autre m’explique que les couleurs « flashy » de mon sac de pique-nique l’ont effarouché.

La descente est acrobatique, bien que le devers ait disparu. De longues plages d’argile retiennent des eaux qui descendent la montagne. Les glissades sont menaçantes. Les sandales de marche accrochent le sol correctement, mais les pas dans la boue finissent par tout salir, sandales, chaussettes, bas de pantalon et pied de la prothèse. Voici le très pittoresque village de Razecueillé qui semble loin de tout. Désormais, je marche sur du bitume. Tant mieux. Le dessous des sandales se dépêtre de la gadoue et le reste sèche sous la chaleur retrouvée. Globalement, cette journée de marche est une des plus belles que j’ai accomplie depuis le départ de Mirepoix. Mais, je suis quand même assez crasseux lorsque je sonne à l’entrée du nouvel hébergement. Après « Chez Jo », voici « Chez Mémé ». Les deux lyonnais sont déjà arrivés depuis longtemps. Cette fois, je n’engage aucune conversation, suite à des propos assez caricaturaux entendus concernant les candidats de la prochaine élection présidentielle.

Le nom « Chez Mémé », dans une vieille maison magnifique, vient du fait qu’elle fut la ferme de la grand mère des deux propriétaires. Elle, Julie, est handicapée physique d’une maladie invalidante et évolutive, rattachée à la sclérose en plaques. Son état me la rend sympathique et une complicité discrète s’établit. L’après-midi, tandis que je cheminais dans les montagnes, elle s’est inquiétée de moi et m’a téléphoné plusieurs fois, sachant que j’étais moi aussi infirme. Les lyonnais ont dû ajouter une couche. Lui, le mari, est un cuisinier-pâtissier de formation, mais aussi un véritable artiste, au sens des artisans d’autrefois. Il a transformé sa maison en un bijou : que ce soit en maçonnerie, en électricité, en plomberie, mais surtout en menuiserie, avec meubles superbes, sculptés et harmonisés dans le vaste salon et salle à manger où nous sommes accueillis. Tout est non seulement impeccable et fonctionnel, mais encore c’est très beau. Je suis seul dans un petit dortoir tout en boiseries. La salle de bains et les toilettes sont presque neuves et adaptées. On sent l’influence d’une handicapée dans les lieux. Le repas proposé le soir est l’œuvre d’un vrai cuisinier, mâtiné en plus de bio. Quel bonheur. Pendant le repas, nos hôtes sont fiers de raconter l’histoire du lieu, jusqu’à la décision d’en faire une étape du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Leur compagnie est un plaisir.

*

Julie me confie le plan d’un chemin qui raccourcit la prochaine étape vers Saint-Bertrand-de-Comminges, à près de trente kilomètres. Mais même avec le raccourci proposé, il me sera difficile d’atteindre la célèbre cité. À cela, s’ajoute le désir d’être seul ce prochain soir et, dois-je l’avouer, celui de ne pas me retrouver de nouveau avec les deux lyonnais. Je sais, ce n’est pas très sympa comme réflexion, mais on ne peut tout supporter, même au nom de la charité et de la plus vaste générosité. Puisqu’il n’y a pas de gîte où je pourrais dormir, allons-y pour une nuit dehors.

Saint-Bertrand-de-Comminges est éloignée. Avec le plan communiqué par Julie et les cartes du guide, je vise une pause camping sauvage du côté de la Garonne. Le GR 78 quitte Juzet d’Izeau par une jolie route de campagne tranquille avant d’attaquer sur près de six kilomètres un sentier vers le Col des Ares. Je franchis un pont sur une rivière qui s’appelle, eh oui, Job : pas trop de souffrances à venir, j’espère. Il y a la possibilité de passer par la route ou par un chemin. Je choisis le second. Me voici sur un sentier herbeux, mal entretenu, puis une montée au milieu de bois à perte de vue. En passant près d’une clairière, l’indication du GR trompe le randonneur. Me voici dans des pâturages qui bifurquent plein sud. Après avoir marché plusieurs centaines de mètres, je décide de faire demi-tour en désirant couper à travers la forêt. Ce n’est pas une si bonne idée. Des fils barbelés me barrent la route. Je finis par essayer de les franchir en un endroit où ils me semblent fragilisés, entre branchages et arbustes. Quelques égratignures et quelques contorsions plus tard, me voici de nouveau sur le joli chemin dans la forêt. Bonheur vivifiant. Quelques chiens aboient au loin. Une ferme survient, bien cachée de la route qui monte un peu plus loin vers la gauche.

La température fraîchit. Le Col des Ares est occupé par un Centre de Loisirs fermé. C’est le moment d’une pause repas. Bien vite, le froid gagne. Après avoir grignoté un bout de pain et mangé une orange, je décide de ne pas rester longtemps et de redescendre à travers un sentier similaire à la montée… c’est-à-dire au milieu de forêts de hêtres et autres feuillus, seulement animées par le bruissement des arbres et des feuilles dans le vent, et une symphonie de chants d’oiseaux. La pente se termine par une marche sur des dalles qui devaient appartenir à une ancienne voie romaine.

Voilà le village de Saint-Pé-d’Aspet, connu par les cruciverbistes (Saint des Pyrénées, Pé). Une immense maison retient mon attention. Elle est à vendre. Je la photographie plusieurs fois, en songeant qu’elle pourrait faire l’affaire pour un gîte du Camino de Compostelle. Elle n’est pas la seule le long du GR78, et leur succession interroge. Toutes ces régions semblent loin de tout, loin en tout cas des lieux de travail et de commerce. Les quelques hébergements sont réduits au strict minimum et une saine concurrence est impossible. Il est certain que le peu de pèlerins rencontrés depuis Mirepoix, et même l’an passé depuis Carcassonne, n’encourage pas un tel risque. Moyennant quoi, j’ai le sentiment d’avoir beaucoup été hébergé dans des lieux familiaux et conviviaux (Mirepoix, Mas d’Azil, Chez Jo et Mémé, etc.).

Je quitte Saint-Pé en direction de la vallée de la Garonne. Avec intérêt éventuel, j’examine les prairies pour planter la tente. Julie m’a signalé d’excellents secteurs où camper. C’est le cas, mais je continue quand même vers le bourg de Ore qui me rapproche de la Garonne et qui domine la plaine. Par un mauvais repérage sur le plan et quelques rues sans visibilité, je me retrouve à longer une route très passante qui file vers l’Espagne. en remontant la Garonne. Un peu de stress. Des camions qui roulent à vive allure me frôlent, l’un d’entre eux me klaxonne comme des trompettes d’un peplum qui sonnent et rebondissent en écho sur les parois de montagne. Heureusement, un kilomètre plus loin, je quitte la route vers le village de Galié et rejoint la Garonne… cette Garonne que j’avais eu tant de joie à traverser sur la Voie du Puy. À cette époque, la marche sur le Chemin de Compostelle était une découverte. Le plaisir y est toujours, l’émotion de la première fois, un peu moins. Ici, le fleuve est étroit, mais le débit est important au vu de la vitesse du courant.

Une voie verte, pour les vélos et les éventuels piétons, commence de l’autre côté du pont. Un peu plus loin, je repère un bosquet accessible à travers un champ cultivé. Des fils barbelés entravent l’accès, puis le bosquet s’avère plus herbeux et plus accidenté que prévu. Sous un arbre, au-dessus de quelques herbes, je plante la tente en une place où il n’y a ni humidité, ni insectes. C’est la première nuit sous tente, depuis Mirepoix.

*

La nuit tombe. J’écoute sur France Musique une série d’émissions enregistrées en podcast sur Arturo Toscanini, l’irremplaçable et colérique chef d’orchestre italien de la fin du Dix-Neuvième Siècle et d’une partie du Vingtième (jusqu’aux années 50). Un plaisir certain, mais en même temps une vague de nostalgie inexplicable et incommunicable. Je suis seul, ici dans cette vallée, je me sens âgé, vieux même si ce vocabulaire n’est pas à la mode. Ces musiques et ces enregistrements sont les œuvres de personnes disparues, écoutées par peu de monde, pratiquement pas de jeunes et quelques mélomanes avertis. La musique est mon langage premier, ai-je souvent écrit dans ces articles. Je l’ai découverte seul et j’ai appris le piano seul. Comment cela se fait-il ? Écouter Toscanini interpréter Ravel, Brahms, Tchaikovsky, jouer avec Jasha Haifetz ou Arthur Rubinstein, devrait élever et enrichir l’esprit… ou l’Esprit avec un grand E. Mais ce que j’écris là, assis à une table de bar au Moulin des Baronnies, me semble du vent, tandis que la nuit glaciale descend. Que penser face au vacarme de la société du spectacle et de la marchandisation universelle qui envahit tout ?

Soyons honnête. Cette mélancolie ne perturbe pas la paix qui m’habite. Au contraire. Ayant pris l’habitude de faire l’aller-retour entre mes niveaux de conscience, je parviens à me détacher des agitations à la mode, un peu comme ces marches le long des Pyrénées qui élèvent le cœur, le corps et les sens au-dessus du tintamarre contemporain. Il va faire froid, 1°C, cette nuit, à la limite de la gelée. À l’instant où j’écoute la musique, je ne m’en doute pas. Un peu d’engourdissement. Je ne suis pas très bien équipé, le mois d’Avril n’est pas un mois de gel dans le Sud, me suis-je sans doute imaginé. La couverture de survie que j’ai enroulée autour de la taille et du pied se déchire. Je parviens tout de même à m’endormir, enveloppé des vapeurs musicales du maître italien. Quand je m’éveille, le jour est là. Les doigts sont engourdis, incapables de se délier pour plier la tente, rouler le sac de couchage et ranger le sac. Il n’aurait pas fallu me demander de jouer un prélude de Debussy. Je mets tout en vrac dans le sac à dos, espérant des températures plus clémentes pour remettre de l’ordre. L’herbe est mouillée. Les chaussettes aussi. Autant marcher pieds nus, enfin pied et prothèse nue.

Le Soleil sort de derrière la montagne. La chaleur grimpe. J’écoute toujours Toscanini. Des ânes, dans une prairie, viennent me rejoindre. Par amusement, je fais écouter à l’un d’entre eux le Concerto pour piano n°3 de Beethoven, sous la baguette de Toscanini et d’Arthur Rubinstein. Les ânes semblent meilleurs mélomanes que bien de nos contemporains. Je rappelle que s’il y a un domaine où je suis assez intolérant, c’est bien la musique. J’imagine, avec ironie, que ces belles mesures de Beethoven ne sont pas perdues ainsi. Il est vrai que les oreilles de l’âne incitent à l’écoute. Je ne pense pas que la réputation de bêtise qu’il leur est faite est si fondée. En fait, à l’école, l’âne ne symbolise pas l’imbécile, mais le cancre. Et il y a des cancres très fins !

Basilique Saint-Just
devant Saint-Bertrand-de-Comminges, au loin

La voie verte continue jusqu’à Loures-Barousse et rejoint le GR78. Je prends un petit déjeuner dans une boulangerie et je reste un long moment à discuter avec la boulangère et une cliente qui semble un peu dépressive. Puis je file en direction de Saint-Bertrand-de-Comminges. Il fait chaud. Le Soleil a retourné l’atmosphère fraîche de l’aube en lumière printanière. Je m’arrête pour soigner des plaies du moignon et grignoter quelques restes de nourriture d’hier. La Cité se dégage sur le fond des monts du Comminges. Je ne m’attendais pas à cela, songeant à un bourg comme les autres, avec des faubourgs, des accès bitumés, des commerces envahissants, un centre-ville et quelques antiquités. Et non. On dirait de loin une forteresse. La ville fortifiée domine toute la campagne et le village d’en bas sait se faire discret. Voilà une bonne illustration de l’imaginaire médiéval, avec ses seigneurs et ses serfs. La citadelle est elle-même dominée par la majestueuse cathédrale dans un environnement plus impressionnant que celle de Saint-Lizier. Le guide précise qu’il s’agissait d’une ancienne place-forte romaine. Voici maintenant, un peu avant l’arrivée sur le village d’en bas, la très belle basilique Saint-Just de Valcabrère. Elle est réputée. Mais je ne m’y arrête pas.

Marie, l’hôtesse du gîte où j’ai réservé, m’attend dans la rue. Elle envoie de grands signes en m’apercevant. Sa maison est une ancienne bâtisse, presque collée sur la paroi, au pied d’un escalier étroit qui se hisse vers la cité. Les murs sont épais et l’intérieur chaleureux. Elle est aménagée pour les pèlerins comme s’ils parvenaient à leur destination finale. Marie m’offre une belle chambre avec salle de bains intégrée et facilement accessible aux handicapés. Décidément, je suis gâté. Presque tous les hébergements depuis Mirepoix sont correctement aménagés. Pas forcément pour les fauteuils roulants, mais pour les boiteux et les estropiés, sûrement. Plusieurs pèlerins logent là. Quatre exactement, dont deux étudiantes québécoises. C’est la première fois que nous sommes aussi nombreux dans un gîte du Camino Piémontais. Un peu plus tard, vient nous rejoindre un habitant du village que j’ai déjà croisé à Mirepoix. Le repas du soir est abondant, savoureux et convivial. Nous rions ensemble, nous racontons anecdotes et souvenirs, puis la conversation glisse vers des partages d’expériences plus intimes. Marie nous sert en silence, elle semble goûter ces instants précieux. Les deux étudiantes du Québec apportent la bonne humeur et la chaleur de l’accent canadien que je ne suis jamais parvenu à imiter. Les deux autres compagnons sont une belle dame blonde qui chemine seule et un marcheur qui a l’habitude de dormir dehors. Pour lui, ce soir-là dans un gîte est assez exceptionnel. Il a dû dormir assez près de moi la nuit précédente, puisqu’il choisit toujours un lieu près d’un point d’eau. Des liens se créent entre nous tous, ces fameux liens du Camino que l’on ne retrouve nulle part ailleurs..

SUITE : Les Baronnies.

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