Contradictions et convictions (1)

1) TENSION et DIALECTIQUE : MÉDITATION à partir de l’expérience religieuse.

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  1. Tension et dialectique : méditation à partir de l’expérience religieuse.
  2. Mythe et réalité du progrès
  3. Politique entre éthique et machiavélisme
  4. L’espace et le temps

Après une analyse simpliste et sommaire de mon ambiguïté religieuse, je propose une réflexion sur la nécessité de la tension, que ce soit dans le réel ou dans le discours… et la conviction que la dialectique est supérieure à la logique – par-delà les sophismes, naturellement –

Pouvoir religieux et meurtre de l’esprit

Commençons par la face religieuse. Il y a une différence sémantique et sociologique entre religion et église, et une différence intellectuelle entre religion et théologie. Ces points sont importants car dans mes propos, je fais quelquefois une confusion voulue. De plus, mon analyse ne porte que sur un espace religieux que je connais bien, à savoir l’espace chrétien et plus spécifiquement catholique, bien que j’ai abondamment fréquenté d’autres églises et d’autres religions. Quand je suis avec des cathos, je suis mal-à-l’aise. Et quand je me retrouve avec des non-croyants ou des anti-cléricaux, je me rends compte que la perspective chrétienne est consistante, solidement établie. Dans les écrits de ces dernières années, j’ai fréquemment critiqué l’Église Catholique, les cathos et plus largement tout phénomène religieux à prétention totalitaire ou universelle. Aujourd’hui, je suis plus discret, voire plus silencieux, surtout lorsque certains cathos sont encore plus virulents que moi à l’égard de l’organisation et du discours de l’Église Catholique, en tant que structure cléricale ou comme hiérarchie d’un autre âge.

À côté de mon bavardage anti-catho, j’éprouve du bonheur à me rendre à des liturgies dans des monastères ou dans des lieux religieux intenses (Lourdes, Taizé, centres de retraite, etc.), même si je m’y sens seul, voire exclu. C’est le cas, par exemple, du Monastère de C., en Chartreuse, où je me rends souvent : église exceptionnelle de beauté, magnifiques offices, communauté intelligente et parfois aussi, prêtre intelligent… et a contrario, aucun accueil, sentiment de petit cercle bourgeois ou de chapelle d’initiés, à la limite de la famille mafieuse (bien intentionnée, naturellement). Il y a quelques jours, par exemple, j’écoute le prêtre qui, très sympathique sans doute, débite un sermon avec un humour assez racoleur. J’observe, assis dans mon petit coin d’ombre, les sœurs de la communauté et les fidèles qui rient et sourient d’un air complice. J’y suis étranger et les rares tentatives que j’ai faites pour m’intégrer au cercle se sont mal terminées. Bon tant pis. Paradoxalement, je ne suis pas troublé. Le fond de l’océan n’est pas perturbé par les ondulations de surface.

La question de la divinité et de la vie spirituelle déborde les frontières du religieux.

Bossuet

Il faut bien nommer, d’une manière ou d’une autre, les contradictions et essayer de les intégrer dans une plus large perspective. Ici une de mes premières convictions émerge. Nombre de cathos militants ou simplement fidèles expriment des propos anti-militaristes, pacifistes ou encore anti-argent, rouspètent contre l’économie et la finance, ou encore contre le progrès ou contre les sciences… et bien sûr, mais c’est à la mode, tempêtent contre tout ce qui est politique. Cathos de gauche comme cathos de droite. Le mot politique est devenu un concept péjoratif. En l’occurrence, ces propos résument bien le sermon racoleur qu’a tenu le prêtre évoqué ci-dessus, un dominicain québécois semble-t-il. Je ne m’intéresse pas ici aux frivolités des traditionalistes et des intégristes avec qui je n’ai pas de conversation. Désolé de mon intolérance.

Or nulle part ou seulement sous une forme secondaire, je ne perçois dans les Évangiles, de diatribe directe contre l’armée, contre l’argent, contre le savoir et même contre le pouvoir politique. Bien au contraire, Jésus est plutôt tendre et amical avec des soldats, même avec les officiers, avec des contrôleurs d’impôts ou des patrons, en plus de sa proximité avec des prostituées, des pauvres, des malades, des handicapés, et ceux qui ont le cœur ouvert et prêt à s’amender et à demander pardon. Il est difficile de nier qu’il y a des propos contre l’argent, mais l’attaque est menée contre le pouvoir de l’argent (ce qui n’est pas la même chose), surtout quand il est en concurrence avec Dieu ou complice des pouvoirs religieux. Bien sûr, Jésus annonce la paix, mais non sans contourner les luttes, non sans se mettre en colère contre les marchands du Temple, non sans annoncer les déchirements par l’épée à double tranchant, la violence et la tragédie apocalyptique.

Chagall : le cheval roux

Bien sûr encore, Jésus se heurte aux pouvoirs politiques de Pilate ou d’Hérode, mais il ne condamne nullement la fonction politique. Bien sûr, toujours, il rend grâce au fait que les petits et les pauvres comprennent mieux l’Évangile que les sages et les savants. Ceci ne l’empêche pas de débattre avec les savants de l’époque et de reconnaître la sagesse de certains d’entre eux. Etc.

En revanche, la cible numéro un du Jésus des Évangiles est le pouvoir religieux. Les quatre Évangiles, plus encore que les lettres de Paul ou les écrits apostoliques, sont de véritables procès contre le pouvoir religieux. Le pouvoir religieux du point de vue social et le pouvoir religieux du point de vue personnel. Jésus affronte non seulement les démons qui paralysent les consciences et il libère les possédés, mais encore il s’affronte violemment aux prêtres et aux administrateurs du Temple, aux Sadducéens qui contrôlent le Sanhédrin et imposent à leurs sujets leurs peurs et leurs contraintes. Il débat durement non avec les pharisiens dans leur ensemble, mais à ceux qui assujettissent le peuple à des obligations rituelles. Cet aspect primordial est très oublié dans les discours de nos églises, voire au-delà… quand on pense au pouvoir des gourous et des « maîtres » dans la presque totalité des religions et des communautés à prétention « spirituelle ». L’action du Jésus présentée par les évangélistes, et guidée par les préoccupations des communautés chrétiennes de la fin du Premier Siècle, porte vers la libération des esprits. On remarquera que Jésus ne condamne nullement le Judaïsme, mais ceux qui, au cœur de la religion juive instituée, contraignent le peuple, notamment les plus petits et les plus faibles. Les contextes d’hier et d’aujourd’hui sont autres et les contraintes se sont déplacées… L’histoire chrétienne, par exemple, est loin d’être rose de ce point de vue, et on sait comment l’ordre monastique et religieux chrétien, moralisateur, s’est progressivement substitué au pouvoir légaliste des religieux juifs. Pour le meilleur et pour le pire…

Même s’il est imprudent de ma part d’être aussi affirmatif, on pourrait concentrer le message évangélique dans la condamnation de toute emprise d’un pouvoir sur les consciences : pouvoir social, ai-je dit, et pouvoir des esprits malfaisants sur les individus, comme on le voyait à l’époque. Des consciences contraintes à se soumettre, à être privées de créativité, des consciences tuées… Bref un meurtre de l’esprit. À l’époque de Jésus, le pouvoir sur les consciences individuelles et sur le peuple était surtout religieux. Aujourd’hui, il est plus diffus : religieux certes, mais pas toujours ; médiatique parfois, mais pas toujours ; politique et policier sans doute, mais non sans garde-fous ; juridique et administratif, en dépit des bonnes intentions ; financiers et économiques, oui, mais non sans notre complicité de consommateurs bien repus. Et de fait, le mythe scientifique et technique a, en grande partie, pris le relais du mythe religieux… tout en apportant d’immenses bienfaits matériels et cognitifs. Comme on le voit, le discernement des pouvoirs spirituels sur les consciences demande de la vigilance et du travail de la raison. Cela dit, la dimension « pascale » (mort et résurrection du Christ) semble être mise sous silence dans mon propos. Oui, c’est exact. Mais, à titre personnel, je ne la disjoins pas du meurtre de l’esprit.

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Nécessité de la tension

Pour en revenir à ma petite schizophrénie personnelle, je reconnais vivre la tension entre la ferveur et la puissance des Évangiles (et plus largement de la Bible), face à la réalité pesante et racoleuse de l’Église Catholique en particulier, et de nombre de communautés chrétiennes en général. Or là, émerge une de mes convictions fondamentales : cette tension est nécessaire. Elle est nécessaire non seulement pour le fonctionnement de notre conscience, de notre langage, de nos échanges et de la structure sociale, mais elle relève également de l’essence de la réalité. La tension est une nécessité ontologique, je ne crains pas le mot. Elle déploie l’espace et la durée. Je me méfie de tout quiétisme, comme de tout « inquiétisme dépressif », si on m’autorise ce néologisme. L’objectif est de situer et d’humaniser cette tension nécessaire. Comment ? Je l’explique plus loin.

Coucher de Soleil pris à Acebo, sur le Camino Francés

Un des mérites réalistes du Christianisme, comme du Judaïsme du reste, est de rappeler qu’il n’y a pas de libération de l’esprit sans douleur, sans tragédie… Tragédie surmontée, certes -on n’est pas chez les grecs-, mais traversée du désert, de la souffrance, de la mort. Le fameux chemin de croix. La force du Christianisme est de démontrer que cette tension nécessaire de la vie, de l’existence personnelle et cosmique, de la réalité apparente est surmontée par la puissance de l’amour. L’amour n’est pas une qualité divine, mais l’être même de Dieu. Toutefois, il y a là un piège : quel amour ? Je pose cette question pour écrire mon agacement à l’égard de ces prêcheurs d’amour qui noient les tensions et les conflits dans les bons sentiments. L’amour n’est pas d’abord un sentiment, il est une énergie transcendante : celle qui est capable de créer, de féconder, de faire émerger de la vie et de la nouveauté, de redresser, de libérer… L’amour est un combat pour que les tensions nécessaires et les contradictions de l’existence humaine et de la vie soient pensées comme des parties prenantes de la vie divine. Encore faut-il que ces tensions trouvent les mots pour se dire ! Encore faut-il que la guerre et la violence puissent trouver le chemin des mots humanisés (eh oui ! Telle est une de mes convictions!) pour participer à la construction de la paix. Peut-être, du côté catho, la tension entre les Évangiles et la réalité ecclésiale et religieuse, est-elle nécessaire ?

Oui, la tension est nécessaire. Parfois elle peut mener à la rupture. Des parents se déchirent avec leurs enfants… Des nations se divisent entre elles ou avec d’autres nations… Des hommes politiques se disjoignent des aspirations du peuple. Ici, mais j’anticipe, interfère la question des rapports du temps à l’espace, et ceux entre la paix et la transcendance. On voudrait bien se réconcilier dans une situation de tension ou de conflit. Mais parfois la rupture est nécessaire pour que chaque polarité de la tension ou chaque entité en conflit se retrouve elle-même… retrouve son esprit et son langage. Cela peut être très long : j’ai l’exemple d’une fille qui n’a retrouvé ses parents qu’après plus de trente ans sans nouvelles, une fois qu’elle a pu réaliser pleinement ses aspirations, et que ses parents connaissent quelques désillusions par rapport à leurs principes. Le conflit entre israéliens et palestiniens ne se résoudra que dans de nombreuses générations, même si la diplomatie et le droit parviennent à apaiser les rues… Aujourd’hui, les français et les anglais se taquinent mutuellement, mais combien de siècles de guerres ont laissé de traces dans les esprits : les français sont toujours des « frogs » et l’on parle encore chez nous de la « perfide Albion ».

Douvres et ses falaises (@pixabay)

Récemment, je prenais en stop une jeune fille hongroise qui m’expliquait que la France de Napoléon et de la Guerre de 14-18 avait privé la Hongrie et l’Autriche de leur puissance… et que les blessures, même cent ans après, étaient encore vives. Là encore, on doit rester réservé à l’égard des réconciliations et des pardons faciles. Et ne parlons pas des guerres de religion, même dans un contexte plus apaisé d’œcuménisme.

Tension surmontée avec le temps ou mort de l’esprit. Voilà déjà un beau combat à mener.

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La dialectique est supérieure à la logique

Cette première réflexion me permet de reprendre une seconde conviction, plus philosophique celle-ci : la dialectique est supérieure à la logique… et au minimum, révélatrice de la tension nécessaire.

La logique est destinée à démontrer ou simplement montrer la cohérence rationnelle d’une proposition, ou plus largement d’une théorie ou d’un discours, qu’ils soient formels, empiriques, juridiques, herméneutiques ou empirico-formels (comme dans les sciences physiques, par exemple). Le raisonnement logique comprend donc des prémisses (axiomes, postulats), des suppositions et conjectures (hypothèses) et des règles de relation, d’ordre, d’enchaînement des propositions, de cohérence des conclusions par rapport aux hypothèses initiales. On n’oubliera pas non plus, dans les sciences surtout, les conditions initiales dans lesquelles le propos logique ou mathématique va s’exprimer. Ce fut la grande réussite de la Modernité de parvenir à remplacer l’argument d’autorité par celui de la rationalité, et le pouvoir arbitraire, religieux ou ésotérique, par le pouvoir des méthodes scientifiques. Bien… Sauf que le culte de la Raison peut mener à la Terreur, comme l’histoire l’a démontré.

Talleyrand et Robespierre (images wikipedia)

À titre personnel, je me méfie de toute idéologie, qu’elle soit morale, religieuse ou scientiste. Par idéologie, j’entends système d’idées obéissant à un processus logique ou dogmatique trop sûr de lui. Par extension, je suis réservé à l’égard de l’idéalisme, c’est-à-dire des philosophies qui pensent que la réalité est enveloppée par un monde idéal… et qui oublient ou négligent la matière et le corps. Bref, je ne suis pas très platonicien, même si j’apprécie la méthode socratique. Du point de vue de l’histoire, je préfère le pragmatique et parfois corrompu Talleyrand à l’idéaliste et incorruptible Robespierre, comme je l’expliquais récemment à un proche, militant politique et éternel déçu de nos gouvernants.

Or, tout discours logique repose sur des présupposés (axiomes, conditions initiales, hypothèses…) et une méthode définie par des règles (par exemple, le tiers-exclu, l’enchaînement de propositions extensives indépendantes du temps et de l’intensif, l’élimination de toute incertitude, etc.). De plus, comme discours formel, l’enchaînement logique enveloppe un contenu qui, dans notre univers, n’est jamais épuisé, ni exempt de surprises. Or, que ce soit du côté des présupposés, de la méthode et surtout du contenu, la réalité et le discours lui-même peuvent toujours faire surgir une contradiction, un contraire, ou même la simple possibilité d’une contradiction ou d’un contraire. Si un discours logique (et a fortiori idéologique) refuse toute contradiction, donc tout espace extérieur à lui-même, il perd sa rationalité… et sa pertinence.

Karl Popper

Je renvoie à Karl Popper, à ses disciples et à toutes leurs analyses. J’ajoute, au risque de me faire conspué, que les tentatives culturelles ou philosophiques pour sortir de la pure rationalité, que ce soient le symbolisme poétique ou la phénoménologie, ne sont pas à l’abri de cette dérive. J’ai connu un psychanalyste qui ne raisonnait que par la phénoménologie : à la fin, son discours devenait complètement ésotérique et incompréhensible… à la limite de la manipulation des patients dont il s’occupait. À son insu, bien sûr, car je dois avouer qu’il était efficace pour guérir des névroses et des pathologies de culpabilité. J’ai aussi rencontré un artiste qui fuyait toute approche scientifique de son art, ainsi qu’un maître spirituel juif qui éprouvait un mépris condescendant à l’égard de l’exégèse moderne.

Voilà pourquoi j’estime que la dialectique est supérieure : elle libère la parole qui peut être prisonnière des idées. Elle propose, même face au discours apparemment le plus cohérent, la possibilité d’une contradiction. « Au commencement, était le Verbe », comme on traduisait autrefois les premiers versets de l’Évangile de Jean, ne signifie pas « au commencement était l’Idée », mais « au commencement était la Parole », le « logos », le lieu du langage. De plus, le « Verbe » signifie la Parole en acte, la Parole Créatrice, même si cette parole semble absurde ou dérange la pensée au pouvoir. Dans le cadre de la dialectique, la contradiction doit à son tour se construire pour devenir une véritable alternative, à la fois pensée, logique, voire systématique… et éventuellement synthétique. Et ouverte avant d’être contredite et surmontée. Le mouvement du « Verbe » ne peut être arrêté. L’idée se veut infinie et éternelle, elle est donc, à mes yeux suspecte. Elle doit descendre dans l’arène de la parole et mordre le sable du réel.

Pub pour l’Association ADEPA (dont je suis administrateur)

Cela dit, la dialectique a deux étages. Il y a l’étage traditionnel bête et méchant, enseigné au B A BA de la philosophie de nos profs. À une thèse, on oppose une antithèse introduite par les possibles contradictions à la thèse, en vue d’une synthèse. Tous les handicapés sont des profiteurs du système social ; ah non, il existe une handicapée qui a créé une entreprise qui produit des biens pour les valides et invalides ; donc un handicapé n’est pas seulement un profiteur, mais aussi un bienfaiteur de la société. On remarquera que souvent, la synthèse complexifie la proposition initiale. Encore faut-il que la structure de la thèse ne camoufle pas les lieux où peuvent s’immiscer la possibilité d’une contradiction. C’est l’art des sophistes de s’amuser à ce jeu, toujours en vue de la manipulation de esprits.

La formulation thèse-antithèse-synthèse qui remonte aux grecs, peut être élargie à la forme du langage lui-même : au discours de la logique scientifique, on oppose une logique poétique. Les beaux ouvrages de vulgarisation scientifique en pullulent : ils invitent le lecteur, qui peut être fatigué de la froideur du formalisme et du jargon, à s’émerveiller du monde dans lequel nous vivons. Le mouvement d’émerveillement n’a rien de scientifique, en revanche il est à la base de la philosophie et de l’expérience religieuse. D’autres simplement cherchent à introduire une finalité, là où elle est exclue de la méthode et des présupposés : ainsi fonctionne « l’Intelligent Design » américain qui cherche à glisser du divin dans les phénomènes naturels observés par les sciences. Pourquoi pas ? Mais l’Intelligent Design doit définir les conditions dans lesquels il s’exprime, conditions qui ne sont pas scientifiques.

*

Le second étage de la dialectique, beaucoup plus fondamental à mes yeux, est la confrontation du discours à la réalité, et non plus à un autre discours. Un de mes amis aime distinguer la réalité et le réel. La réalité est une construction sociale située à l’interface du réel voilé et de nos facultés de perception et de sensation. J’aime cette distinction. Souvent, pour désigner le réel, je parle de « l’être », sauf que dans ma petite lépidosophie, l’être enveloppe aussi l’esprit -et réciproquement-. Admettons. Le réel, lui, n’a pas de discours. Pas de discours, certes, mais il pose question à toute tentative d’ascendant totalitaire ou d’emprise strictement analytique sur lui. Le jeu de question-réponse, question du réel, réponse de la pensée, en spirale infinie, même s’il n’est perçu que du côté du sujet humain (individuel ou social), infère cette nécessaire dialectique, cette nécessaire tension active de la vie, de l’être.

La carte…

À titre personnel, à chaque instant, que je marche dans la nature, que je joue du piano, que je lise un article scientifique, que je regarde une émission sur la culture hindoue, japonaise ou quechua, que je bavarde avec une personne que j’aime, l’espace créé par la tension entre l’idée et le concret, me saute aux yeux. L’idée que je me fais, j’entends, ou celle qui m’a été transmise par ma culture ou les circonstances immédiates. La carte n’est pas le territoire. La cosmologie ne sait rien de l’écosystème. La droit ne dit rien de la psychologie du prévenu, l’informatique ne sait pas grand-chose de l’amitié… et pour boutade, la religion ne sait pas grand-chose de Dieu, même quand elle est révélée.

… n’est pas la photo … et encore moins le territoire

En revanche, la théologie peut aider, doit aider même, à mettre en débat les recherches sur les représentations de Dieu, de même que l’amitié peut passer aussi par des canaux informatiques, que la psychologie peut fluidifier la raideur du droit, que l’observation d’un petit espace de forêt ou d’un carré de verdure peut donner des idées à des spécialistes de la Relativité Générale… Inversion des termes de la tension. Et si le réel reste voilé, la possibilité de sa représentation et la réalisation de multiples discours sur lui, enrichissent la vie de l’esprit.

Le lecteur l’aura compris, je l’espère : il ne s’agit pas d’opposer la logique à la dialectique, encore moins de se servir de la logique pour détourner la dialectique de sa finalité : cela, les sophistes savent très bien l’utiliser pour des fins intéressées. Le travail du philosophe, et même du lépidosophe, est la recherche de vérité.

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Pour résumer cette première analyse de ma schizophrénie lépidosophique, on se rappellera d’abord qu’à mes yeux, la contradiction, la tension et parfois la rupture sont essentielles et non accidentelles. Puis on acceptera que la dialectique est supérieure à la logique, dans la mesure où la parole ramène les idées dans leurs limites formelles et dans la réalité. Libération de l’esprit et création du temps. Passons à la deuxième analyse : le progrès, entre mythe et réalité.

SUITE : mythe et réalité du progrès

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