Qu’est-ce qu’un lépidosophe ? (1)

Cette série d’articles a été écrite il y a plus de 7 ans. Je ne suis pas sûr que je la réécrirai de la même manière aujourd’hui. Toutefois, au fond de moi, je me reconnais toujours comme « lépidosophe », surtout depuis qu’un ami qui se demandait ce que ce mot signifiait est tombé sur mon site !
Peut-être réviserai-je un jour ces articles ? Mais aujourd’hui, je reste fidèle à ce que j’étais au moment -hégélien sans doute- où j’ai écrit ces pages. Merci.

Nombre de femmes et d’hommes célèbres aiment raconter leur vie. Et pourquoi pas les moins connus ? Ici, après une explication de ce qu’est un lépidosophe, il s’agit du parcours intellectuel, « spirituel » et « existentiel » de l’un d’entre eux … qui intéressera peut-être quelques-uns. Aucun parcours n’est banal et aucune vie n’est un long fleuve tranquille…

Rien à voir avec l’auteur caché ci-dessus…

Un de mes amis, s’interrogeant sur le fait que je me qualifie de lépidosophe, est allé chercher sur internet la signification de ce terme. Il est tombé sur mon site et sur le récit de Compostelle que Google s’est autorisé à publier sans mon autorisation. Évidemment, le lépidosophe, c’est moi. Du moins, je dois être le seul sur cette belle Planète perdue dans la Voie Lactée à m’intituler ainsi. La notion de lépidosophie a été conçue durant le Chemin vers Saint-Jacques de Compostelle, suite à une méditation et une relecture de mon aventure intellectuelle et professionnelle. Elle vient d’une remarque dans les années 2010 d’un de mes collègues et proclamé chef (personne n’a jamais été mon chef !). Elle déborde même le professionnel et touche mon existence sociale et mon infime potentiel intellectuel et moral. Ouh la la, cela paraît bien compliqué et égocentrique, n’est-ce pas ? Oui et non. Oui, puisqu’il s’agit d’un des rares qualificatifs dans lequel je reconnais une quelconque identité personnelle. Non, parce qu’il y a plus d’objectivité dans ce terme qu’on ne l’imagine. Il existe de nombreux lépidosophes qui s’ignorent, au sens où je l’entends et que je vais essayer d’expliquer.

J’explique le concept sous deux rapports : le premier, plus conventionnel, consistera à définir ce qu’est le lépidosophe ; le second est lié à mon histoire, mes combats, mes doutes, mes échecs, mes avancées, mes soutiens, mes amours, et on comprendra que dans ma vision du monde, je ne conçois rien de ce qui existe sans la temporalité et ses aléas. Le terme de « lépidosophe » existe, semble-t-il, dans le domaine de la botanique. Je n’ai pas approfondi. C’est une notion très spécifique… qui semble désigner des fleurs qui draguent les papillons. Pas mal, cela me plairait. Mon épouse a planté dans son jardin des fleurs particulières qui attirent de nombreuses abeilles, bourdons, frelons et autres insectes… et donc des papillons, fleurs qui ont le don d’agacer le voisin jardinier qui cultive à l’ancienne, à travers de longues plate-bandes vides de toute « mauvaise herbe », bref qui conçoit le jardinage comme une activité industrielle. Séparer pour mieux exploiter, n’est-ce pas ? Rien à voir avec un jardin écologique et la perma-culture que pratique mon épouse, où les plantes, fleurs, arbustes, petits fruits et mille autres êtres vivants se mêlent selon des codes que j’ignore. Passons. La langue française comporte de nombreux homonymes et il n’a jamais été interdit, jusque là, de créer de nouveaux néologismes, surtout quand les racines viennent du grec, du latin et non de l’anglo-saxon.

On l’aura compris, il y a conjonction ou plutôt fécondation entre la racine latine « lepidostera » (le genre papillon), elle-même dérivée du grec « λεπις » [lepis] qui signifie écaille et « πτερóν » [pteron] qui signifie aile, et « σοφια » [sophia] la sagesse, au sens de sagesse philosophique -et non des petits enfants sages… quoique ! Je demande aux spécialistes d’étymologie et de linguistique de ne pas être trop regardant sur la composition non florale du concept, cette approximation étant une des caractéristiques de la lépidosophie. Il aurait été plus juste de conceptualiser le terme lépidostérosophe, mais c’est emberlificoté et difficile à comprendre. Bref, lépidosophe suffit et signifie « philosophe papillon ». Les grincheux experts pourront toujours s’exercer à imaginer un autre enracinement grec ou latin s’ils le désirent. Ma réflexion intellectuelle s’est nourrie et se nourrit encore un petit peu de nectar butiné çà et là chez des auteurs variés que j’ai aimés, que j’aime encore, que j’aime beaucoup, passionnément, jamais à la folie, et parfois peu ou pas du tout (rares quand on commence à les connaître).

Bibliothèque jésuite de Prague

J’ai très rarement le courage d’aller jusqu’au terme des traités et essais de ces grands penseurs. En cours d’article, j’essaierai d’énumérer les quelques livres que j’ai réellement lus jusqu’au bout et analysés. Certains seront sans doute oubliés, vu que ma mémoire se désorganise et défaille… Je ne sais plus parfois quelle a été la profondeur de la lecture, sachant qu’un ouvrage travaillé à une époque ou dans un contexte particulier (préparation d’un cours ou d’une conférence, participation à un groupe de travail, par exemple) n’est pas lu de la même manière quelques années plus tard ou par simple loisir. Et puis il y a parfois des mensonges par omission ou inversement par déraison : j’imagine avoir lu tel livre et je m’aperçois que c’est faux ; inversement, je crois n’avoir jamais lu tel autre et je découvre qu’il est truffé de notes en marge au crayon à papier et quelquefois même au stylo. À la différence des grands universitaires et des journalistes consciencieux, les fiches de lecture ont été égarées ou traînent un peu partout dans le disque dur de l’ordinateur.

Tel est le lot du philosophe papillon. Mais le lépidosophe est rusé. La ruse lui permet d’écrire des bavardages sans avoir besoin d’aller fouiller dans ses papiers ou dans la mémoire morte de l’ordinateur. Toutes les sottises qui suivent pourront être justifiées par la perte de mémoire et la paresse. Fin 2014 et début 2015, j’ai jeté nombre de cours et de conférences préparés et donné une grande partie de mes livres. Ce fut un soulagement et un geste de reconnaissance intime de ma condition de lépidosophe. Un soulagement, parce que je me suis retrouvé moi-même et que j’ai renoncé à me croire plus gros que je ne l’étais ; une reconnaissance, car maintenant je n’ai plus besoin de prouver socialement, professionnellement et intellectuellement qui je suis. À côté de certains experts capables d’avaler un, quelquefois plusieurs livres par jour, journalistes, chercheurs, écrivains, penseurs divers, scientifiques, historiens, etc. je me contente de la lecture d’un article, d’un demi chapitre, de quelques paragraphes et de l’écoute de quelques émissions de France Culture, d’Arte ou de la Chaîne Parlementaire pour nourrir mon petit estomac. Inutile de chercher à rivaliser avec un Habermas, un Vidal-Naquet, un Bernard Sesbouë. En revanche, que de butinages contemplatifs lorsque je joue du piano, écoute de la musique, ou quand je vagabonde dans la nature.

N’imaginez pas non plus que je me prends pour Jean-Jacques Rousseau !

*

Ici, je désire exprimer un petit doute. Je suis un lépidosophe. Soit. Mais tous les grands penseurs ne sont-ils pas un peu lépidosophes sur les bords, sans se l’avouer ou sans en avoir conscience ? N’entretiendraient-ils pas une petite mystification dans la nécessité de défendre leur image de savant ou d’intellectuel ? Prenons deux exemples.

Dans ma jeunesse pieuse et avide de spiritualité et de sens, j’ai lu nombre d’ouvrages du théologien Hans Urs von Balthasar qui passait pour l’homme le plus cultivé de la Planète. J’avais une admiration sans bornes pour ces immenses docteurs instruits, brillants, modestes. J’ai notamment épluché plusieurs tomes de son monumental pavé « La Gloire et la Croix », sous-titré « une esthétique de la Révélation », dont notamment trois gros volumes intitulés « Le Domaine de la Métaphysique ». L’idée d’approcher la vision chrétienne, biblique et philosophique sous l’angle de la beauté (et de son ambivalence) avait quelque-chose d’extrêmement séduisant. Les ouvrages du théologien suisse-allemand sont truffées de citations d’auteurs en latin, en grec, en hébreu et autres langues inconnues, de notes en bas de pages souvent plus longues que le corps du texte lui-même. Quant aux bibliographies, elles rempliraient une bibliothèque municipale entière. Par pudeur et respect des communes, je ne précise pas la dimension de la municipalité. Quelqu’un m’a raconté que Hans Urs von Balthasar travaillait avec une équipe composée de docteurs en théologie et en philosophie qui se chargeaient de disséquer tous les ouvrages savants édités, anciens ou récents, dont le maître se chargeait de distiller l’esprit. Bravo, impressionnant ! Question : ne serait-ce pas si différent de ces directeurs de recherche, au CNRS ou ailleurs, qui piquent des idées de jeunes chercheurs et qui signent des articles en leur nom propre ? Peut-être. Pas si sûr. Les directeurs de recherche ne publient pas des dizaines d’ouvrages de 600 ou 800 pages. De plus, « Ours », comme le désignait affectueusement un jeune carme que j’avais fréquenté durant mes études, avait le mérite d’avoir une pensée personnelle et d’articuler les informations qu’il recueillait auprès de son équipe, sur ses intuitions fondamentales. J’ai rencontré des savants dans des centres universitaires capables de bouffer des volumes entiers d’ouvrages compliqués… et incapables d’émettre une pensée personnelle.

Ces jours-ci, j’ai essayé de lire et relire des pages d’Ours de Balthasar. À ma grande surprise, je me suis rendu compte qu’existaient dans sa pensée de grandes lacunes (en relisant les index). Non quelques absences dans des domaines qu’il aurait tous survolés, mais des pans entiers de la pensée et des sciences. Certes, on ne peut pas tout savoir, mais quelqu’un qui passe pour le plus cultivé de la Terre aurait pu, peut-être, se montrer plus exhaustif. J’écris avec prudence, car sa bibliographie est telle qu’il est possible que je spécule à partir d’un petit échantillon insuffisamment représentatif. À partir de mon impression, j’accepte volontiers qu’il fut le plus grand savant de la zone germanique et peut-être aussi le plus complet des analystes des auteurs orientaux, grecs, latins et médiévaux. Mais au-delà ? Ours connaît très bien la littérature et maintes interprétations des grandes œuvres littéraires, artistiques, religieuses, musicales, OK ! En revanche, peu concernant les sciences et l’évolution des techniques, sciences humaines et sciences naturelles, dont il ne parle qu’à travers des filtres philosophiques. Rien concernant l’univers médiatique, cinéma, télévision etc. Peu sur l’évolution sociale, sur l’anthropologie. Pas grand chose sur la pensée anglo-saxonne… et naturellement loin loin loin des perspectives extrême-orientales, indiennes, japonaises, coréennes et surtout chinoises.

Souvenir Chine 2014

Note du lépidosophe : cette dernière raillerie s’appuie sur ma sensibilité teilhardienne, sur l’admiration croissante que j’ai pour le monde chinois, suite à un voyage en 2014, suite à mes dernières lectures concernant la philosophie chinoise et tout récemment, suite à une visite de papillon au domicile d’Alexandra David Néel à Digne. Bonne femme impressionnante, elle aussi. Je n’en fais nul reproche à « Ours ». Je me souviens d’un cours suivi sur l’histoire de la philosophie, où le professeur, passionnant du reste, avait exécuté la philosophie chinoise en même pas deux heures. Ce qui me met mal-à-l’aise et qui justifie mon ironie, ce sont les amoncellements de notes, de références dans les livres, et l’aura qui s’est dessinée autour du visage de Hans Urs von Balthasar, ce qui n’enlève rien à mon admiration. Peut-être préférai-je un Bergson, un Descartes ou un Jankélévitch qui écrivent sans aucune note en bas de page, même si les allusions sont fréquentes et même si des essais ne relèvent pas du même genre littéraire que des thèses ou des sommes universitaires.

Après tout, moi-même, je n’ai pas été capable de terminer ma thèse de doctorat, après avoir épuisé quatre directeurs de thèse, deux qui se sont avoués incompétents, un qui n’avait plus le temps et qui avait dû quitter l’université et un qui s’est fichu de ma gueule après avoir lu la première partie de ma thèse (une des raisons qui m’ont conduit à une grave dépression et une hospitalisation l’année suivante : mais je n’en suis plus là, aujourd’hui). J’ignorais que j’étais un lépidosophe du bas de l’échelle, et muni d’une seule patte en plus.

« Ours » est beaucoup plus influencé qu’il ne l’avoue par Heidegger, par le rayonnement sombre à mes yeux du philosophe teinté de nazisme et de son influence inquiétante sur le monde intellectuel d’après Guerre. Ours m’a fait découvrir, avant d’autres, les deux grands axes philosophiques qui dominent notre pensée occidentale depuis la Renaissance : l’axe philosophique de l’Être, via la médiation antique, dont Heidegger est la clé de voûte ; l’axe de l’Esprit, et donc de Hegel, depuis Descartes. Dualité interactive qui m’interroge, car moi-même je suis un passionné de l’Être, du réel concret, et en même temps, j’ai du bonheur à naviguer dans les philosophies de l’Esprit. J’en conviens, les mots ne correspondent pas forcément à ce qui semble premier. Peut-être aurai-je l’occasion de préciser mes intuitions à ce sujet. Bon, on arrête là l’Ours suisse.

*

Château de Caen (de mon enfance)

L’autre exemple est celui du philosophe Michel Onfray. Soyons clair. Il m’obsède un peu (trop). Le philosophe de Caen, très médiatique, est moins aux antipodes de Hans Urs von Balthasar qu’il ne paraît, malgré sa confession athée militante qui semble très éloigné du théologien. Michel Onfray est une montagne de sciences philosophiques et même de sciences sociales, politiques et naturelles (un peu moins pour ces dernières). Un peu écrasant, là aussi. J’avoue n’avoir pas eu le courage de lire jusqu’au bout, encore moins d’approfondir, un de ses livres. J’écoute régulièrement ses émissions sur France Culture, je regarde sur internet des débats auxquels il a participé, je lis les résumés de ses thèses dans des journaux ou des magazines de réflexion, j’extrais çà et là un article concernant son dernier livre.

Récemment, un ami me racontait que lors d’une émission de télévision, Michel Onfray était confronté à un historien. Celui-là, avec malice, félicitait le philosophe de sa capacité à produire plusieurs essais par an, de bien les vendre -preuve de nombreux admirateurs acheteurs-, alors que lui-même avait du mal, au vu de sa recherche spécifique, à produire un petit article par an. Un peu d’exagération sans doute. Pour être franc, Michel Onfray m’agace souvent, mais je ne puis m’empêcher de l’applaudir. Oui, naturellement, l’historien de l’émission télévisée a raison sur le fond, le savoir est humble, le silence est d’or… mais peut-on interdire à un penseur d’étaler sa vision des choses à tous ceux qui l’intéressent ? L’historien n’aura jamais beaucoup d’opposants, et s’ils existent, ils resteront dans leur petit cénacle. Il est scientifique et tente de coller au plus près de la réalité telle qu’elle a été perçu par des témoignages. Le philosophe de Caen, lui, s’expose, prend le risque d’affrontements violents avec d’autres qui ne pensent pas comme lui, se confronte à des moqueries et de la dérision méchante quand l’un ou l’autre met au jour des facilités ou des sottises dans l’un ou l’autre de ses écrits. Il y a certainement du jeu dans cette agitation médiatique et intellectuelle. Mais est-ce si sûr ?

Michel Onfray est un peu lépidosophe lui aussi. Plus gros que moi, j’en conviens. Il ne le sait pas, sans doute, ou feindrait de l’ignorer si je lui disais, même si ses connaissances sont infiniment plus vastes et profondes que les miennes. J’ai l’avantage de me revendiquer philosophe papillon, d’être superficiel et quelque peu habitant d’un tout petit territoire. De fait, j’ai étudié plus de sept années de théologie chrétienne (dont 80% est à jeter à la poubelle), sans oublier des années de thèse de doctorat, et je me rends compte que, dans ce domaine, Michel Onfray est assez faible et fantaisiste. On est loin des humanistes de la Renaissance. Je n’en fais grief à personne. Après tout, à l’époque des Lumières, Leibniz et Kant avaient également de grosses lacunes dans leur ambition universaliste, et un peu plus tard Hegel se montre plutôt maladroit dans la partie Philosophie de la Nature de son Encyclopédie.

Gardons le sourire. Tout ridicule lépidosophe que je suis, je ne suis plus gêné par ces montagnes de sciences et d’érudition. Je n’aurais pas le courage d’exposer ou de revendiquer, sauf sur ce blog personnel et en auto-édition, sous une forme universitaire, les quelques intuitions qui me structurent avec les années passant. Une seule, peut-être. Ce n’est pas un hasard si j’ai écrit par ailleurs, suivant en cela Aristote et indirectement Platon et Socrate, que la dialectique est supérieure à la logique. Je tiens cette conviction aussi de la mystique juive et de l’approche qu’en propose Gershom Scholem. Mille excuses si je ne développe pas ce que j’entends par « dialectique » : disons simplement qu’une philosophie, qu’elle soit systématique, littéraire ou critique, ne vaut à mes yeux que si elle est capable de descendre dans l’arène de la parole finie et actualisée. Il ne suffit pas d’être cohérent et logique, encore faut-il que les délimitations soient claires pour qu’on puisse en débattre et qu’après débat, il y ait plus de questions que de réponses (la surface des questions grossit en proportion du volume des réponses proposées). Les solutions sont nécessaires, mais elles deviennent dangereuses quand elles se croient définitives (sauf dans des cas simples). Voilà, dans un premier temps, ce que j’entends sous dialectique : possibilité de dialogue. Edgar Morin développe le concept de dialogique. Pourquoi pas ? Chez Morin, il n’a pas tout-à-fait la même signification, alors je ne m’aventure pas plus loin et je m’en tiens à l’idée de dialectique.

Certains penseurs ajoutent à la pertinence d’une pensée le fait qu’elle produise de l’efficacité et de la moralité dans l’action. Oui, bon, nuançons. J’en ai un peu assez de ces bien-pensants qui estiment qu’une pensée ne vaut rien tant qu’elle n’aboutit pas à une éthique ou une politique. Une bonne éthique et une bonne politique, entend-on. Le philosophe anglo-saxon Alfred North Whitehead (l’antidote du poison Heidegger, d’après Isabelle Stengers et Merleau-Ponty), que j’apprécie beaucoup (un de mes maîtres à penser) défend les scolastiques et leurs spéculations parfois farfelues contre Kant et tous ces grands penseurs moralisateurs qui pullulent dans l’histoire. Whitehead était un grand mathématicien à l’origine et je comprends son affirmation. Les recherches mathématiques sont souvent très éloignées des préoccupations morales et sociales. Les scolastiques ont préparé la modernité par leur liberté de pensée apparemment sans but autre qu’une cohérence intellectuelle. L’Éducation Nationale nous fatigue avec son cortège d’auteurs moraux, de Montaigne à Alain (que personne ne lit en dehors des profs de philo et de leurs étudiants).

Ah, les scolastiques ! Ça débattait, au moins !

Cela dit, mon agacement n’exonère pas les penseurs dont les thèses infèrent des monstruosités, accompagnent des abominations politiques ou justifient des pratiques d’injustice. J’ai évoqué Heidegger, même si je sais qu’il existe de nombreux débats autour de son système et de ses liens avec les nazis. Il n’est pas le seul. Nombre de courants eugénistes, racistes, sexistes, intégristes sont entretenus par des intellectuels. Ils doivent être combattus, et pour cela, ils doivent être connus et analysés librement, d’un point de vue critique, politique et aussi spéculatif. Pardon pour les censeurs qui rêvent d’une société transparente et cool. J’ai quelques critères à ce sujet : le plus fondamental à mes yeux est celui qui met en jeu ou non le rapport vie et mort. Mort physique, mais aussi mort morale, psychologique, culturelle et écologique. Mais pardon, je m’éloigne du sujet. Qu’est-ce qu’un lépidosophe ?

La suite, la suite, la suite ! Chenille dans son cocon.

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