Suite 2 : de Borce à Jaca (Aragon)
Rappel : il s’agit des réflexions écrites au jour le jour, sur Facebook.
– Les commentaires des friends n’ont pas été repris… mais on peut pressentir leur influence, au fur et à mesure des journées. Merci.
Somport-Aragon (jour 0)
Journée de voyage tranquille de Voreppe (chez nous, près de Grenoble) jusqu’à Pau. D’abord du BlaBlaCar avec des covoitureurs supers : rires, chants, bavardages, partage de boissons, de viennoiseries, de gâteaux et sandwichs.
…. jusqu’à Muret, où m’attendait ma cousine Laurence dans son camion. Laurence a marché de Paris à Santiago de Compostela, dans les années 90, dans des conditions autrement moins confortables qu’aujourd’hui… Impressionnant.Laurence m’a emmené jusqu’à Pau…
– À Pau, je devais rejoindre un ami jésuite. Malheureusement, il a fait un AVC et il est à l’hôpital. Les jésuites m’ont quand même accueilli dans ce qui est en réalité une EHPAD pour jésuites âgés.
Ils ont encore bien toute leur tête, même au-delà de 90 ans, preuve que le travail intellectuel conserve ! (sauf le risque d’AVC ?)
Au lieu de partir de Lourdes comme prévu, j’ai décidé de partir d’ici, de Pau, puis Oloron-Sainte-Marie et le Col du Somport…À demain.
– Entre-temps, j’ai appris qu’une tornade avait soufflé sur Voreppe… et la belle bignone de Véro a été tordue. Mais les fleurs sont restées…
Compostelle. Somport- Aragon (1) de Pau à Lacommande
Donc, départ de Pau. Première journée de marche.
– Pour rejoindre le Chemin de Compostelle, j’ai dû marcher plus de 11 kilomètres… sans compter qu’il n’y a pas d’indication. Faut improviser ! ?
En fait, il faut longer le Gave de Pau… qui est à la limite de la crue. Sentier tranquille.
Je suis seul. Le temps est couvert et frais : pas de Soleil, pas de pluie !
– Une fois le Chemin retrouvé, il y a une petite grimpette d’environ 1 km, dans la boue. Heureusement je n’ai pas les Keens de Mahdi qui auraient été salies dès le 1er jour ! ?
Ensuite on chemine dans de belles forêts, avant une longue descente, parfois acrobatique, vers le village de Lacommande.
➡Il n’a pas fallu une demi-journée pour retrouver cette grande paix confiante que j’avais découverte lors d’autres caminos… mais plus tard. Bonheur du présent et de la présence. Mon indécrottable côté hégélien (et teilhardien) me rappelle que je n’expérimente pas l’Esprit du Camino, mais que c’est lui qui m’expérimente. Je suis comme son complément d’objet. Ce que j’écris est sérieux. Sensation du plus vaste que soi qui nous emporte dans son flux. Très apaisant… Alors je marche dans un grand silence intérieur, calme et océanique…
– 19 km quand même au total : c’est exagéré pour un handicapé et un premier jour. Bon, mais pas de casse, ni fatigue.
? Gîte frustre dans une ancienne commanderie (hôpital médiéval). Accueil simple. Je suis avec trois marcheurs qui arrivent d’Arles.
Compostelle. Somport- Aragon (2)
De Lacommande à Oloron
Journée particulièrement chargée, tragi-comique.
Du Soleil le matin pour accompagner un chemin en yoyo. Ça monte, descend, monte, descend… Chemins boueux.
– mais des animaux : chevreuil, faisans, lapins ? et même un serpent peureux.
➡Et puis, le mauvais gag : chemin complétement bousillé par des bûcherons et débardeurs. Énormes tracteurs tirant des gros troncs. Boue, ornières… Même pas moyen de passer à côté. Moyennant quoi, soit on marche dans la forêt, au milieu des broussailles du printemps, quand ce n’est pas trop pentu… Soit on patauge dans une bouillie de gadoue avec de la terre bien amoureuse !… Sur les sandales !
Jamais vu ça après presque 2400 km sur le Camino. 2 heures pour faire 1,5 km.
J’ai trouvé ça assez amusant, mais d’autres pèlerins étaient en colère ! ?
– Arrivé en haut, 4 cavaliers passent au galop ?
Plus bas, je n’en retrouve que 3 : l’un a fait une grave chute. Commotion cérébrale. Il avait perdu la mémoire. Transporté d’urgence à l’hôpital de Pau.
– Heureusement sur le chemin, je rencontre un couple de marseillais… à qui je raconte, naturellement, que j’ai perdu ma jambe, lors de l’attaque d’un requin dans la calanque de Sormiou !
– 19 km et 9 h de marche : ça commence à faire un peu trop. Demain plus cool.
Dans le gîte d’Oloron-Sainte-Marie où je dors ce soir, il y a une chambre aménagée pour les handicapés ♿. Très bien, très bien, on progresse.
Très sympa, du reste, ce gîte ! Y retrouve les divers marcheurs qui m’ont dépassé ce jour. À demain.
– Compostelle – Somport-Aragon (3)
D’oloron à Eyzus (Tour Saint Jacques)
INCROYABLE CE QUI M’ARRIVE !
– Ce matin, reçois un SMS : l’hébergeur de ce soir ne peut pas me recevoir. Il est malade. Je décide de rester à Oloron-Sainte-Marie pour visiter la ville.
– Je tombe par hasard sur une messe à la Cathédrale. L’organiste est exceptionnel et l’orgue impressionnant ! Nous avons droit à « l’Ascension » de Messiaen !
Il continue à jouer alors que la nef s’est vidée… sauf 2 ou 3 abrutis comme moi…
– Mais CE N’EST PAS TOUT. À la sortie de la Cathédrale, l’organiste (en fait, 2 organistes, un père et son fils d’à peine plus de 20 ans -c’est lui qui a joué Messiaen) m’invite(nt) à monter à la tribune.
L’orgue, une splendeur, est un Cavaillé-Coll de 1870, la Rolls des orgues !
➡Et ils me proposent de jouer : très intimidé, je joue « le petit berger » de Debussy, dans un petit arrangement perso ??. La sonorité est inouïe. J’en ai les larmes aux yeux !
? Seul bémol : la municipalité accorde 200€ de subvention par an, pour cet orgue !!!!
——- Retour au prosaïque : dans le Centre, ne pas rater la pâtisserie russe ! Et son gâteau…
? Ah j’oubliais : les deux marseillais, à qui j’ai raconté que j’avais perdu ma jambe, suite à l’attaque d’un requin dans la calanque de Sormiou, m’ont cru ! Comme quoi on peut réussir à raconter des galéjades même à des marseillais, sans qu’ils s’en aperçoivent.
– Ce soir, je dors à la Tour Saint Jacques, tout nouveau donativo, à Eyzus !… en principe, à 8 km d’Oloron… Mais en fait, j’en ai fait 13, en raison de mes visites dans la ville et d’une petite erreur (suis reparti sur la route de Pau)
Cet hébergement est tout-à-fait singulier et attachant, en raison du site étonnant (une tour hexagonale…) et des hôtes ! Bel accueil, super repas végétarien (mais pas tout à fait), chansons et partages conviviaux.
JE RECOMMANDE FORTEMENT ! Rentrera dans mon top 10…
– Compostelle : Somport-Aragon (4)
D’Eyzus à Sarrances
– Ah la la, qu’il est difficile de quitter la Tour Saint Jacques, la gentillesse et l’immense travail de Graziella et de Jacques, ce lieu pour artistes excentrés ou excentriques, la super bouffe, cette joyeuse pagaille, etc…
OUIIIIIIII ! JE RECOMMANDE une fois de plus !
– Il fait un temps splendide. La vallée d’Aspe se dessine. On voit les ours danser là-haut sur les Plateaux et à l’orée des bois (quand je mets les lunettes, ils disparaissent : bizarre, quand même).
– C’est un pays d’élevage. Des vaches, des ânes, des moutons… et des patous cachés qu’il vaut mieux garder à distance (voir vidéo).
– La fin est assez acrobatique : petit sentier de 2 km, étroit et glissant au-dessus du Gave… Faut pas se casser la margoulette. C’est le bain glacial assuré et quelques bonnes contusions !
Puis quelques centaines de mètres le long d’une route à grande circulation…
➡ Arrivée au Monastère de Sarrance. Site magnifique, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.
– un peu trop catocato à mes yeux pervers, quand même : langage stéréotypé, étalage d’une bouillie spiritualo-égocentrique, sorte de Heidegger déguisé en gélatine catho sentimentale. Vite relire du Teilhard, du Hegel, un peu de Bible ou les Mille et Une Nuits pour se désintoxiquer…
… Et moi, j’ai toujours l’art de me retrouver à l’écoute des gens blessés par la vie et à moitié déjantés. Difficile de s’en dégager. Mais j’écoute, j’entends, je sympathise, croyez-moi ! ?
– Il faut croire que des personnes ont besoin de cela. Je ne condamne pas, loin de là. L’Esprit souffle où il veut et comme il veut…
– Le repas est frugal, très frugal même : monastique, quoi ! Soupe, brandade de morue à la louche, petit morceau de fromage. C’est tout.
Le moine prémontré, Pierre, homme visiblement expérimenté et bon écoutant, essaie de manager tout cela. Pas facile ! J’admire !
– On est heureux d’arriver (pour l’accueil, la beauté du site et la gentillesse), on est heureux d’en repartir (pour la sensation d’étouffement)…
BON, c’était ma méchanceté quotidienne ?. Une par jour, ça va ?
– Compostelle : Somport-Aragon (5)
De Sarrances à Bedous
➡Bon, j’ai été injuste, hier, avec les permanents du Monastère. Je suis resté le matin à bavarder avec l’une ou l’autre… et il y a une belle solidarité entre gens en difficulté et les autres.
– La propriétaire du gîte où je comptais dormir ce soir me téléphone pour me prévenir qu’il est plein à craquer. Problème habituel du samedi soir ! Bon on verra bien. C’est l’aventure…
– DONC : JOURNÉE telle que les non-pèlerins n’apprécieraient peut-être pas : pluie ?, vent ?, froid, grondements de tonnerre ⚡… Bref des vraies conditions normales de pèlerin. Et enfin j’enfile la pèlerine (eh oui, ça pèse dans le sac) !
Quand il pleut, on ne transpire pas et les pieds (le pied) ne chauffent pas. J’aime bien…
– Premiers kilomètres assez dangereux sur un chemin boueux et glissant qui domine le Gave. Pas toujours rassurant : parfois même, il y a des câbles contre la falaise pour s’accrocher… et le vide de l’autre côté ! ?
J’abandonne le GR et préfère marcher le long de la nationale ! ?? Périlleux ! Suis sans cesse sur mes gardes.
Je décide alors de longer les rails du train ?. Pas simple de marcher sur du ballast. Et j’avoue avoir eu le cœur qui battait fort lors de la traversée d’un tunnel…
….. Un train est passé moins de 10 minutes après.
– J’approche de Bedous.
➡ Voilà un troupeau de moutons. Les patous montent la garde. L’un s’approche très près.
– Arrivée à Bedous, frigorifié. Je trouve un hébergement (un peu cher) au Moulin d’Orcun… Le meunier fait son pain lui-même et m’a préparé un bon repas de produits du pays.
Il est un peu déprimé, me parle longuement de ses difficultés… qui ressemblent un peu à une nouvelle triste de Giono ou de Daudet.
– On annonce des températures de -4° au Somport, et de la neige ❄. Aïe !
– Compostelle : Somport-Aragon (6)
De Bedous à Borce
Bedous. Lever très tôt, à 5h. Il fait froid (4°) et il pleut. J’ai l’intention de longer la nationale plutôt que d’emprunter des chemins boueux et glissants.
C’est dimanche matin, il n’y aura pas de circulation.
⚠ Bon certains vont rigoler (Mahdi par exemple), parce que c’est sans doute déjà connu : ai trouvé un moyen de ne pas mouiller les chaussettes dans les sandales. J’enfile un sac poubelle entre la chaussette et la sandale. En plus, le(s) pied(s) reste(nt) au chaud.
➡Marche tranquille : très peu de voitures sur la nationale, comme prévu. Je m’offre un petit plaisir en allant marcher au-dessus du village de Celle.
– Il fait tellement froid que, lors d’une pause, je tremble et n’arrive même pas à remonter la fermeture éclair de ma pèlerine ! Buster Keaton, lui-même, se serait bien amusé, en me voyant gesticuler !
Dès qu’on marche, la chaleur revient et je suis bien équipé… Et la fermeture éclair remonte toute seule ?.
➡ Moyennant quoi, j’arrive à Borce à 11h. Magnifique village, qui serait plus beau s’il n’y avait pas cette pluie glaciale et la neige fondue. Il fait 0°…
Pas de bol, le gîte un peu écolo, où je voulais m’arrêter, ferme pour 3 jours, à partir de ce midi. Juste le temps de prendre un chocolat chaud et d’acheter de quoi manger ce soir…
– Je me rabats sur le gîte municipal. Suis tout seul. Dors une bonne partie de l’après-midi sous le tic-tac de la pluie sur le velux. L’hôte, une charmante jeune dame et sa petite Amandine de 6 ans, ne passera que vers 20h.
? État d’âme. La solitude sur les chemins m’est différente, selon que je marche ou que je soies dans un gîte vide. Dans la marche, la solitude est joyeuse, confiante, surprenante, stimulante, méditative, créative et j’aime le côté aventureux. Dans ce gîte vide, je relis ma journée, mes journées, et parfois ma vie, ses mensonges et ses illusions… Ce n’est pas la première fois ! Mais n’ayez crainte : je suis toujours aussi paisible, et amusé par les hasards de la marche.
AUCUN DOUTE : JE SUIS UN NOMADE (à une patte, peut-être, mais nomade quand même !)
Oui oui, c’est bien moi, en 2009, au Maroc
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Suite (2) : de Borce à Jaca (Aragon)
Salut Nicolas.
Coucou de Fred, l’un des deux marseillais.
Bises.
Oh, trop bien !!! Quel bonheur ! Bon, vous avez fait la différence entre la réalité et la littérature, j’espère ! Bises aussi…