Investigations trinitaires (17) – Interlude méthodologique

INVESTIGATIONS TRINITAIRES (17) – INTERLUDE MÉTHODOLOGIQUE ET TOURBILLON TRINITAIRE.

Résumé : Quelques éléments de méthodologie, spécialement pour tenter de dépasser les paradigmes dualistes. Cette réflexion s’achève en proposant d’articuler les points de la méthode autour du tourbillon trinitaire et de la vie de l’Esprit.

Investigations trinitaires 16 – la figure du Christ

Au cœur des investigations trinitaires proposées sur ce blog, se cachent une méthodologie constante et des paradigmes plus ou moins explicites. Les différents points de la méthode évoluent au fur et à mesure que j’écris, mais il y a des invariants que je vais expliquer.

Commençons par les paradigmes. Un paradigme est un élément (aux deux sens du mot : élément d’une structure ou élément marin, par exemple) d’un arrière-plan, sur lequel s’écrivent ou se disent les différents propos que chacun développe. Un milieu mental, si l’on veut . La plupart des paradigmes sont liés à notre éducation, notre culture et parfois notre caractère et nos préférences. Les paradigmes semblent la plupart du temps évidents, alors qu’ils sont des architectures cachées et construites inconsciemment, dans lesquelles nous habitons sans en sortir, pour offrir une autre image. Par exemple, je m’exprime en langue française. Le français privilégie certaines structures logiques, certain vocabulaire, certaine syntaxe au détriment d’autres possibles. Les temps de verbe sont très développés et nous utilisons beaucoup les temps composés, liés à des auxiliaires d’être et d’avoir. Les qualificatifs et adverbes sont fréquents, au risque d’accentuer une représentation du monde axée sur la qualité, au détriment des relations et des quantités. Les mouvements et les processus sont souvent enclos dans des propositions statiques, claires et distinctes, selon de bons vieux principes acquis chez les philosophes du Dix-Septième Siècle. La ligne du temps est celle du passé-présent-futur, à la différence, par exemple, de la langue hébraïque qui distingue l’accompli et l’inaccompli qui signifient la puissance cachée dans le présent.

N’étant ni grammairien, ni linguiste, je ne m’étendrais pas sur ce terrain. Dans le domaine des paradigmes, un autre exemple est celui de la logique. Dérivées de la pensée grecque, nos cultures ont favorisé la logique binaire et abstraite : une proposition est vraie ou fausse, le tiers (à la fois vrai et faux, ou ni vrai ni faux) est exclu. Or si la logique binaire fonctionne parfaitement pour les systèmes formels, abstraits et définis, elle exclut les zones d’incertitude et de chaos qui pullulent dans la nature. Il est difficile de saisir la richesse de la vie, des écosystèmes et des multiples couleurs de la Noosphère et de l’Histoire, avec une simple logique binaire. Le binaire joue son rôle dans les systèmes et processus décomposables en éléments simples ou en successions d’instants discontinus, comme dans le numérique et plus généralement, dans l’informatique et assez souvent, dans les sciences dites dures. Encore que, le physicien que j’ai été insiste sur les incertitudes qui enveloppent toute expérimentation, dès qu’on sort de l’abstraction des équations. De même, la logique binaire avantage la causalité linéaire qui réduit tout phénomène à la conséquence de causes ou de principes déterminés, sans tenir compte du hasard et de l’environnement. Ceci explique le glissement méthodologique que j’effectue fréquemment vers la dialectique, vers la systémique ou vers l’analogie… voire vers une philosophie de l’organisme.

Toutefois, en ces temps de théorie du complot, de prétendu « réveil spirituel », de « fake news » et de sophismes, il importe de ne pas laisser la porte ouverte à un excès d’irrationalisme. La bonne logique binaire est aussi un garde-fou. Une bonne distinction entre pensée rationnelle et pensée irrationnelle consiste en ce principe : est rationnelle une réflexion qui sait définir, distinguer, séparer éventuellement les concepts et domaines du savoir, respecter le dialogue avec l’expérience, tout en sachant les limites imposées par les paradigmes et les choix présupposés ; est irrationnelle une réflexion qui tente de réunir les contradictions dans une système plus vaste, bref de se risquer à retrouver l’unité dans la perception sensible, l’imagination et les représentations mentales. Le rationalisme est l’excès de la démarche rationnelle, celle qui nie la possibilité de vérité dans l’irrationnel. Son danger est d’omettre la part d’incertitude qui existe dans toute pensée : soit du côté de l’expérience du réel, soit du côté des paradigmes oubliés. C’est le germe des dogmatismes devenus paranoïaques. L’irrationalisme est l’excès inverse : il conteste a priori la démarche rationnelle et bouche les trous là où il y a de l’inconnu, afin de se rassurer dans un système unifié et fermé. C’est le germe de certaines folies fanatiques, religieuses ou politiques (ou les deux). On l’aura compris, il faut parvenir à naviguer entre ces deux extrêmes tout aussi insensés (au sens le plus fort du terme).

L’option méthodologique que je choisis est triple. D’une part, j’estime que toute démarche rationnelle est environnée d’un halo d’incertitude qu’il s’agit d’essayer de déterminer : la meilleure manière pour cela est de rappeler les présupposés, le domaine d’analyse et de synthèse, les limites d’indétermination de l’expérience, voire de la sensibilité, dans le processus de la pensée. C’est celle que j’utilisais comme enseignant de physique : tout résultat expérimental, pour être scientifique, doit être accompagné d’un calcul d’incertitude. D’autre part, quand l’esprit commence à glisser sur la pente de l’irrationnel, c’est-à-dire à vouloir trop précipitamment unifier ce qui est distinct, je retourne aux acquis des sciences et de l’histoire. Enfin, il m’apparaît que la dimension logique qui recouvre toutes les autres logiques, mathématiques, formelles, empiriques, herméneutiques ou symboliques, est la dialectique : au sens le plus large du terme. Celle qui mène à la parole, à la communication, à travers les controverses des idées, des images et des thèses, et à travers la confrontation au réel. Confrontation au réel, sous l’angle scientifique et sous l’angle existentiel.

*

Paradigme dualiste.

Un des paradigmes dominants de nos cultures et traditions occidentales, véritable poison de nos pensées et de nos discours, est ce fichu dualisme qui traverse presque tous les champs de nos présupposés : Esprit-Matière ; Objet-Sujet (et donc objectivité-subjectivité) ; Nature-Culture ; Naturel-Artificiel ; Naturel-Surnaturel ; Corps-âme ; Gauche-Droite ; Liberté-Déterminisme ; Essence-Existence, Temps-Éternité, etc. Lequel est amplifié par l’utilisation hypertrophique de la logique binaire. Il en pullule tellement qu’il est difficile de s’en échapper, même avec la plus grande attention. Un des plus graves, dans la conjoncture actuelle, est l’opposition entre l’homme et la nature. Il n’est pas nécessaire de développer. Ceci peut se comprendre : il a fallu des siècles, peut-être même des millénaires, pour que les femmes et les hommes se libèrent de maintes contraintes naturelles et corporelles… ou au minimum les apprivoisent : maladies, froid et chaud, tremblements de terre, inondations, incendies, famines, etc. Ils s’en sont affranchis dans la pratique par des techniques diverses, médecine, habitation, vêtements et mille autres moyens. Parallèlement à ces pratiques, intellectuellement et spirituellement donc dans la pensée occidentale, la libération à l’égard de la nature s’accomplit en hypertrophiant l’âme, l’esprit, la raison, les sciences, face aux fragilités de l’organisme, de la sensibilité, de l’environnement.

Jusqu’au Vingtième siècle. Notons a contrario que dans l’embrouillamini actuel de l’écologie, se font jour des réactions de plus en plus virulentes qui méprisent la raison, les sciences et techniques, la vie intellectuelle et toute spiritualité liée à des institutions et à une conception transcendante du divin.

*

Pour se sortir des pièges du dualisme, notamment ceux qui opposent la sphère humaine et la sphère naturelle d’une part, le sujet et l’objet d’autre part, je propose trois méthodes disons « épistémologiques », pour employer un mot savant qui signifie simplement prêter attention à notre regard. Je complète ces choix par une méthode, appelons-là « ontologique », liée au regard sur le réel tel qu’il se présente à nous immédiatement ou médiatement. J’unifie le tout à partir d’une intuition qui me vient directement de ma méditation trinitaire. Les quatre premiers items méthodologiques peuvent être liés organiquement dans le cinquième. En ce qui concerne d’autres paradigmes, de futurs articles apporteront une méthodologie complémentaire. Retour au dualisme et voyons chacun de ces items.

Premièrement, il suffit d’un peu d’attention pour s’apercevoir que dans le concret, dans la réalité apparente -et certainement dans le réel caché derrière-, tout est tissé ensemble. Ceci est également vrai sous le regard du temps. La musique exprime des sentiments, des passions, des états d’âme ; elle fait passer des messages sociaux ou politiques. Romantisme subjectif ou politique. OK. Mais la musique se pratique avec des instruments qui sont le fruit d’une longue histoire technologique -aujourd’hui avec des systèmes électroniques-, des outils de transmission dérivés de sciences acoustiques… sans oublier les techniques de racolage des auditeurs. Quant au solfège, aux rythmes, à l’harmonie, aux multiples figures de contrepoint, aux sonorités, ils dérivent aussi d’une longue histoire à la fois formelle, dialectique et culturelle : le jazz de la Nouvelle Orléans semble éloigné des chansons populaires de Hongrie ou de la musique savante de Vienne. Pas d’expression subjective sans outils et pratique « objective » et concrète. Ce qui est vrai de la musique l’est aussi de toutes les activités dites intellectuelles ou artistiques, littérature, mathématiques, architecture, sciences dures et souples… voire de l’ensemble des activités concrètes, artisanales, agricoles, industrielles, ludiques… et pourquoi pas, même des mots et des gestes pour exprimer l’amour. Même si les films montrent des amants s’envoyer en l’air dans une meule de foin ou dans un lac perdu dans la forêt -geste très naturel-, il faut reconnaître que c’est bien plus agréable dans une chambre d’hôtel, entouré de tous les gadgets et de tout le confort moderne. Et puis, pour séduire, il a bien fallu utiliser des expressions et des mots plongés dans une culture.

Bref, tout est lié dans la réalité concrète, au contraire du langage ou des idées et paradigmes qui séparent -ou distinguent au nom de la raison-.

La deuxième méthode que j’utilise pour me dégager du dualisme est de noter que ces liens, ces tissages, sont actifs, dynamiques. Ainsi la technique pianistique influence le toucher avec lequel je vais exprimer tel ou tel message, état d’âme ou révolution, et inversement. Si je désire exprimer telle sensation, tel sentiment ou telle idée, il va falloir faire appel à telle ou telle instrumentation. J’aurais plus de difficulté à produire musicalement une colère prophétique avec une harpe qu’avec une batterie. De plus, si la capacité des instruments ne permet pas l’expression recherchée, il faudra soit se contenter de ce qu’elle offre, soit engager des recherches pour améliorer la technique. L’exemple donné musicalement l’est aussi de la relation entre maître et étudiant, ou maître et disciple. Tout formateur ou enseignant sait qu’il évolue en fonction de ses élèves… Le second principe de la thermodynamique qui est aussi un principe d’information rappelle que tout système fermé se dégrade. Pour s’enrichir, un système doit échanger de l’information et de l’énergie avec son environnement, avec son « autre » : même si elle n’est pas automatique, cette obligation est gage de vie et de perfectionnement. Dans le domaine de la physique, les scientifiques savent que les structures inertes n’existent pas et qu’elles sont toujours en interaction avec les autres et avec leur environnement, même si les transformations réciproques sont insensibles.

Bref, dans toute observation des liens qui attachent ou réunissent une entité physique ou une idée psychologique à son environnement, à d’autres entités ou à ses propres paradigmes, il est important de repérer l’interaction dynamique entre eux.

La troisième méthode que j’utilise pour sortir d’un dualisme encombrant est la prise en compte de la durée : durée évolutive, linéaire, créative, désorganisatrice ou chaotique. Toutes les entités et structures de la matière, de la nature, de la Noosphère ont une histoire qui remontent jusqu’au Big Bang -dans l’état actuel de nos connaissances cosmologiques-. Tous les concepts et les émotions de la vie psychologique et mentale ont une histoire qui remonte parfois jusqu’à nos états de chasseurs, de cueilleurs et de domesticité paléolithique… voire peut-être même à notre ascendance animale proche : hominidés, singes, mammifères supérieurs. Certains lecteurs estimeront que j’exagère : mais après tout, un bébé qui a faim exprime des pleurs, des cris peu différents de l’appel des petits mammifères vers leurs parents. Même s’ils ne sont pas des concepts de la raison humaine, au sens philosophique du terme, ces cris portent un message et un contenu humainement significatifs et performatifs. Tout cela pour rappeler que la moindre de nos activités et expressions sociales, physiques, mentales est le produit d’une histoire qui relie nature et culture, subjectivité et objectivité, esprit et matière. Ces derniers concepts ne sont que des abstractions.

J’ajoute à cela un point qui me tient à cœur : les mots ont une histoire parfois marquée par du sang versé et des douleurs. Le nominalisme a tenté d’abstraire les mots et les concepts de leur substrat matériel et historique. Mais non : fausse piste. Liberté, égalité, fraternité, loi, responsabilité, convivialité, solidarité, nationalité, etc. ont autant de gravité concrète et historiques que les réalités apparemment concrètes comme la terre, les arbres, la faune, la ville et les villages, les objets du quotidien et les objets techniques, l’énergie et la matière sensible. Le lecteur reconnaîtra ma prudence à l’égard des « idéalités » qu’on croit descendues d’un ciel divin.

*

Que dit la réalité apparente ?

À ces trois méthodes que j’ai qualifiées d’épistémologiques, j’en ajoute une quatrième plus ontologique liée aux « choses » du réel telle que les présentent nos sens et notre observation scientifique et rationnelle. Il existe des êtres qui sont indécomposables, n’en déplaise aux réductionnistes post-cartésiens. Un être vivant que l’on coupe en deux meurt : il n’est plus vivant (sauf quelques cas particuliers). Une méthode qui désire comprendre la vie par l’ana lytique est vouée à terme à l’échec, même si elle peut expliquer çà et là quelques causes et quelques effets. Je n’ai pas besoin d’évoquer le mythe de Frankenstein de Mary Shelley (il est notable que ce mythe ait été créé par une femme, organiquement plus proche de la gestation de la vie que les hommes). Il est possible de briser une pierre pour découvrir sa structure minérale et cristalline. Si l’on essaie de faire la même chose avec le crâne de son insupportable voisin de quartier, il sera impossible de le recomposer… sans compter les ennuis que l’on aura avec la justice. Ceci n’est possible que dans la science fiction ou le fantastique. Le fait de disséquer un être vivant pour le comprendre ne fera que mettre en évidence les dimensions non vivantes de son fonctionnement : son unité, son autonomie, sa complexité échapperont à l’analyse.

Ce qui est vrai des êtres vivants l’est également des sociétés et cultures humaines, ainsi que de la sphère des idées et des langages. Même les plus dogmatiques des penseurs analytiques ont dû se résoudre à la conviction que le sens apparaît au minimum au niveau des propositions (et non des mots), et au-delà des propositions, au niveau de méta-langages, de principes, d’axiomes et de présupposés sémantiques et logiques. En d’autres termes, la réalité elle-même, vivante, psychique, mentale ou culturelle, se présente comme un ensemble de structures et de systèmes liés, dynamiquement liés, historiquement liés… et indécomposables, ontologiquement parlant. De nouvelles théories émergent pour comprendre les êtres vivants, les écosystèmes naturels et sociaux sous d’autres angles, comme les systémiques, les philosophies de l’organisme, les holismes. Il serait bon de pouvoir également en inférer pour saisir l’histoire et la vie des idées, des sentiments et des émotions, voire de les élargir pour comprendre la Noosphère. Des tentatives ont eu lieu et ont encore lieu. Tant mieux, il y a de l’avenir.

*

Considérations trinitaires et tourbillonnaires pour articuler la méthodologie.

Au-delà de ces aspects méthodologiques, je pose un point qui me vient de ma méditation trinitaire. Dans l’aventure de la doctrine trinitaire, l’Esprit a souvent été conçu comme la « relation » entre le « Père » et le « Fils». J’ai déjà évoqué et je reviendrai sur les figures du « Père » et du « Fils», porteuses d’ambiguïtés dans le contexte contemporain post psychanalyse et féministe. En théologie trinitaire, même si cela est peu sensible dans les credos des églises, « Père » et « Fils» définissent des relations plutôt que des essences, du moins à un premier niveau. Bon, ce débat n’est pas nouveau et je ne désire pas être entraîné sur un vaste terrain miné ici et là. Si « Père » et « Fils» désignent des relations, tout en ayant leur propre autonomie d’existence dans une divinité unifiée, l’Esprit n’est pas que relation entre les deux autres pôles trinitaires. Il a également sa propre autonomie, sa propre histoire et se retrouve aussi comme polarité, ou comme foyer, de ce que j’appelle le tourbillon trinitaire.

Ici il me faudrait développer ce qu’on entend sous le vocable d’autonomie… et plus largement de liberté. Un article ultérieur développera le concept de liberté et d’autonomie sous des plans différents. Je montrerai comment la liberté divine ne peut se comprendre à partir de nos conceptions adolescentes de la liberté : liberté égale absence de contraintes. Dans le mystère de l’infini, comme dans celui de l’Esprit, la contrainte est richesse, puisqu’elle est liée au mystère de la création et de l’amour.

L’idée de « Tourbillon trinitaire » n’est pas proposée au hasard. Le tourbillon évoque une structure lente et dynamique en sein d’un environnement chaotique ou turbulent qui peut aspirer l’ensemble dans un mouvement plus organisé que les cinétiques qui le créent. Le concept de tourbillon renvoie à la fois à l’hélice et à la spirale. La spirale évoque l’Esprit. Étymologiquement, les deux mots ont la même origine. Le vocabulaire théologique utilise parfois le concept de « spiration ». À défaut de respiration, d’inspiration et d’expiration, concepts propres aux êtres vivants. S’il n’y a pas de « spirale », il n’y a pas de mouvement tourbillonnaire, sinon du chaos ou de l’ordre figé. Il n’y a donc pas de vie trinitaire créative. L’Esprit est plus qu’une simple relation, il est le dynamisme même de la vie et du tourbillon trinitaire, par-delà un simple échange énergétique. Je ne crains pas, ici, d’utiliser de telles analogies géométriques et dynamiques, pour éviter de sombrer trop vite dans le sentimentalisme religieux ou le psychologisme. La spirale et l’hélice ont également un point commun : tout en s’élargissant ou en s’élevant, elles croisent régulièrement les axes (radiaux ou verticaux) des spires antérieures. J’aime cette image pour montrer que, dans un cadre tourbillonnaire, les conservateurs et les révolutionnaires se retrouvent et sont chacun dépassés par leur propre vision : les premiers remarquent plutôt les axes (« ouais, c’est toujours pareil, c’est comme avant, rien de nouveau sous le Soleil ! »), les seconds remarquent l’élargissement ou la montée (« vous voyez bien, ça change et évolue, ça progresse ! »). OK, OK. Fin de l’analogie !

Si l’on conçoit la Trinité comme un simple face à face éternel entre deux polarités que l’on nomme « Père » et « Fils », entre lesquelles circule une particule ondulatoire d’amour qui s’appelle « l’Esprit », comment donner sens à l’existence d’un monde créé, vivant, lui-même autonome et créatif et coupé de cette source divine. Ces polarités restent dans leur communauté tri-égocentrique et « sectaire ». Un Dieu sectaire, ce que j’ai tendance à reprocher aux adeptes de la transcendance monothéiste, est en réalité une pure abstraction. Il est possible de comprendre, théologiquement parlant, que l’on sépare consciencieusement la création et le créateur, par crainte d’idolâtrie et par souci de didactique. Mais alors, comment expliquer l’existence d’un monde qui, disent les plus convaincus, est en dehors du divin, et pour certains, s’en passe très bien. Pour éviter les considérations abstraites, je propose de chercher la signification de l’existence du monde et des multiples activités vivantes, souffrantes et créatives dans le mouvement de l’Esprit, dans la spirale et le tourbillon trinitaire. Non sans mystère, sans nuit et brouillard, sans inconnu, sans tension entre infinité et finitude, j’en conviens : Job se cache toujours derrière mes réflexions.

Bref, l’Esprit, comme relation, a sa propre autonomie vivante et entraîne les autres pôles de la Trinité, eux-mêmes relations dynamiques, dans un mouvement qui les déborde. Dans le tourbillon trinitaire, il y a de la création permanente. Je projette maintenant cette idée dans ma considération ontologique et méthodologique : la relation n’est pas seulement « relative », ni seulement « interactive », elle est constitutive de l’être du réel. Et pas de n’importe quelle manière : elle l’est comme génératrice, « spiratrice », voire « respiratrice » d’un mouvement créateur et durable, d’un tissu de plus en plus complexe et chatoyant, d’une explosion de vie. De même que les systèmes vivants sont des tissages de dynamismes tourbillonnants, des entités reliées pour former un tout unifié, pourquoi ne pas songer et considérer que l’ensemble du réel, à l’image du divin, est un ensemble de relations dynamiques et spiralées à l’infini. Le champ s’ouvre, comme dans les vallées inconnues que j’avais entrevues et dont j’ai parlé dans un article antérieur : le marcheur de sens ne reste pas enfermé dans un cercle éternel ou ne suit pas une linéarité prévisible. Il repère les cassures, les chaos qui peuvent lui révéler la présence d’un tourbillon qui l’entraîne vers de nouveaux chemins de l’Esprit, vers les aventures de la vie. Je désire faire comprendre ici, que je ne me situe pas sur un plan philosophique, mais sur celui d’une analogie métaphysique au-delà des représentations et des idées. Même si les mots avec lesquels j’écris ces propositions doivent traverser les lignes de représentations et de paradigmes cachés, ils désirent révéler les tissages entre l’être, l’infini et le mouvement créateur.

Deuxième point, en effet. La relation trinitaire appelée « l’Esprit » a une histoire et un temps. Pas le nôtre bien sûr, du moins dans le principe. Toutefois, dans la mesure où notre monde existe, il y participe et réciproquement, nous participons de l’histoire de l’Esprit. La physique moderne nous a heureusement débarrassé de cette vieille opposition entre le temps et l’éternité ; le temps étant considéré comme cette espère de mesure universelle et enveloppante des mouvements, qui s’étend de l’infini du passé à l’infini de l’avenir ; l’éternité étant représentée comme une sorte d’instantanéité, figée où chaque être se positionne par rapport à un autre, selon un ordre, qu’il soit hiérarchique ou organique. Il suffit de contempler les belles représentations de certains tympans romans où l’éternité est montrée comme un espace ordonné, héritage de la vieille cosmologie qui opposait l’ordre angélique et divin au corruptible terrestre. Ordonné et mort ! Car l’absence de mouvement est, dans le cadre de notre connaissance scientifique et à échelle réduite, le signe de l’inerte et de la mort. Non, chaque système naturel, social ou spirituel, a sa propre temporalité. Même le divin éternel. Temporalités liées simplement à des effets relativistes et des référentiels en mouvement de translation ou dynamiques les uns par rapport aux autres ; ou temporalités liées à des phénomènes plus complexes d’ordre quantique, biologiques, et a fortiori « noogénétiques » (liées à la genèse de la Noosphère).

Je me permets un clin d’œil théologique : la Bible passe son temps à parler d’un Dieu vivant. Pourquoi l’enfermer dans l’éternité conçue comme un espace figé et instantané ? Je réouvre mes paupières, pardon. Restons-en à ce que j’ai proposé comme méthodologie « méta » pour surmonter les dualismes stériles et abstraits, peu compatibles avec la réalité. Sans évoquer le tourbillon trinitaire qui reste le centre d’une de mes méditations, chacun peut s’approprier l’analogie de la spirale tourbillonnaire qui entraîne les dualismes figés dans l’aventure de la vie et de l’être.

Ceci m’amène à un second point de la réflexion méthodologique, à savoir le piège paradigmatique de la spatialisation du temps… et derrière elle, la réduction des représentations au seul sens visuel. Il fera l’objet d’un autre article, mais en attendant, que le lecteur, qu’il soit mélomane ou pas, se rappelle un point : la Sonate Pathétique de Beethoven se joue entre 18 et 23 minutes, pas plus, pas moins, en fonction des interprètes. Elle ne peut se concentrer en un instant éternel.

Investigations trinitaires 18 : Alliance différentielle

Récit d'un unijambiste
sur le Chemin de Compostelle
106 jours de marche, à 2 Km/h
et 14 Km/jour sur 1540 Km...

- Difficultés et joies de la marche d'un handicapé physique -
Tome 1 : Voie du Puy (Édition Nicorazon)Tome 2 : Espagne (Éditions Lepère)

Ce contenu a été publié dans Philosophie, Spiritualité-religion. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.